PASCHIMATANASANA

Paschimatâsana est sans doute la posture la plus importante du Yoga, compte tenu de ses immenses bienfaits. Le Hatha yoga Pradipika (chapitre 1, verset 29) l’énonce expressément : « Cet asana prééminent fait circuler le courant vital à l’arrière du corps (dans la Sushumna nadi). Il ranime le feu digestif, amincit le ventre et confère la santé ».

Toutefois, prise de façon incorrecte, cette posture ne manquerait pas de causer de nombreux désagréments d’ordre non seulement physique, mais aussi énergétique et mental. C’est la raison pour laquelle la Shiva-Samhitâ, 94, recommande de garder cette posture confidentielle : « Cet âsana, […]doit être tenu secret et ne doit pas être révélé à quelqu’un de non qualifié. »

1. LA SIGNIFICATION DU NOM DE LA POSTURE

Les Occidentaux appellent souvent cette posture « la pince », par ressemblance formelle avec cet outil : quand les mains sont posées sur les pieds et le front plaqué sur les genoux, le corps ressemble alors à cet ustensile. Cette désignation occidentale, toute fondée sur l’apparence, présente au moins le mérite de nous mettre en garde contre une exécution incorrecte : l’adepte irait alors au devant d’un pincement lombaire !

Il est donc préférable de garder le terme sanskrit original et d’essayer d’en percevoir la signification.

Paschimatanasana signifie littéralement : posture (asana) qui assure l’étirement (tân) de la partie arrière (paschima) du corps.

A côté de cette première signification physiologique, existe une signification ésotérique. Paschimatanasana désigne la posture qui permet à l’énergie vitale de remonter par la « voie arrière » (Paschima), c’est-à-dire d’emprunter le canal central (Sushumna) jusqu’à l’arrière de la tête.

Dans la mesure où cette ascension de l'énergie est particulièrement recherchée par les Yogis, nous aurons l'occasion de revenir sur cet aspect de la posture au paragraphe 4 consacré à ses bienfaits.
Après avoir présenté la signification de Paschimatanasana, il convient maintenant d'étudier précisément une erreur fréquemment commise dans la posture. Gageons - un homme averti en valant deux - que ces précisions vous permettront de pratiquer de façon totalement sécurisée.

2. COMMENT SE FAIT-ON INVOLONTAIREMENT MAL AU DOS

Paschimatanâsana est présentée, à juste titre, dans tous les manuels de Yoga. Un athlète, alliant musculature et souplesse, y fait une démonstration tout à fait impressionnante, comme le montre le dessin placé en début de page.
Or, quand on essaye d’en faire autant, ce que l’on y gagne, c’est bien souvent un solide mal de dos ! Ce n’est pourtant pas faute de s’être appliqué, bien au contraire ! On a tendu les jambes, en se disant : « ça, au moins, c’est facile ! » On a attrapé les tibias, à défaut de pouvoir atteindre les pieds. Et puis on a tiré. Le dos s’est voûté. Et puis, ça à fait mal dans la région lombaire !

Cette douleur, bien sûr, n’est pas à rechercher et il convient donc de comprendre comment elle est apparue.

Il y a deux causes majeures à cette douleur. La première, subtile est d’ordre mental : je cherche « à faire comme » le monsieur sur la photo. De ce fait, je ne suis pas centré sur moi, à l’écoute de mes sensations et je me coupe totalement de moi. La seconde erreur est d’ordre physique, et proprement mécanique : je n’ai pas procédé à la bascule de mon bassin.

Basculer le bassin : plus facile à dire qu’à faire ! Il faudrait d’abord savoir qu’il peut bouger ! Il faudrait aussi qu’on m’ait appris à le faire et qu’on m’ait enseigné pourquoi le faire. Pas étonnant dans ces conditions que je me fasse mal !

Nous passons notre vie assis : assis au bureau, sur des chaises au dos desquelles nous nous appuyons, assis devant des écrans d’ordinateur, ou devant la télévision, effondrés sur des divans. Ces divans, ces dossiers, sont de sournois ennemis : ils malmènent en réalité notre dos, l’affaiblissent dangereusement, sous prétexte de favoriser notre confort.

Nous menons une vie sédentaire. L’époque bénie où nous partions chasser l’ours avec nos silex est révolue ! Certes, nous ne rentrions pas toujours vivants, mais, au moins, nous n’avions pas mal au dos !

A force d’être assis pendant des heures, les muscles situés à l’arrière de nos cuisses (les ischio-jambiers) sont devenus raides et ont tendance à se contracter. Cette raideur musculaire bloque notre bassin. Ainsi, quand je veux incliner le tronc vers l’avant pour toucher mes pieds, comme dans Paschimatanâsana, mon bassin demeure figé, immobile et refuse de basculer. Pour compenser cette carence, du coup, j’arrondis le haut du dos, je me voûte. Et je tire de bon cœur avec les bras ! Le résultat est immanquable : j’attrape un lumbago !

Le schéma ci-dessous vous montre ce qui se passe :

Comme on le voit, les muscles sont raides, empêchant le bassin de basculer. Le dos est voûté, la région lombaire effondrée, ce qui déclanche une douleur intense.

Cette situation apparaît radicalement différente de l’attitude correcte présentée ci-dessous :

L’extension des muscles des mollets (jumeaux et soléaire) et de l’arrière de la cuisse (ischio-jambiers) permet au bassin de basculer vers l’avant. De ce fait, les vertèbres lombaires s’ampilent correctement, protégeant ainsi les disques intervertébraux.

Nous comprenons maintenant pourquoi il est essentiel de placer le bassin de façon juste. Néanmoins, nous n’avons pas tous la souplesse de l’Appolon dessiné ci-dessus. Devons nous donc nous résigner à ne rien faire ? Nullement ! Il existe, en effet, une façon de procéder tout à fait sécurisée qui rend la posture accessible à tout le monde.

3. COMMENT PRENDRE LA POSTURE DE FACON SECURISEE

Le Hatha Yoga Pradipika (chapitre 1, verset 29) décrit très précisément la posture : « Ayant étendu les deux jambes sur le sol, droites comme des bâtons, il faut saisir les deux pointes des pieds avec les bras, et posant la région du front sur les genoux, demeurer dans cette position ; c’est ce qu’on nomme paschimatâna. »

Or, comme nous l'avons vu, si nous ne disposons pas de la condition physique nécessaire, nous allons nous blesser en essayeant de respecter ces instructions. Il est donc très important de ne pas pécher par excès de zèle et de comprendre que la description donnée par le Hatha Yoga Pradipika correspond à la phase ultime de la posture. Pour l'atteindre, il est donc indispensable de respecter certaines étapes intermédiaires. Il convient, en outre, de prendre en compte nos capacités et de renoncer, soit temporairement, soit définitivement à la phase ultime de la posture.
Nous allons donc examiner successivement les différentes étapes qui vont nous permettre d’entrer de plus en plus profondément dans la posture.

31. Assurer la bascule du bassin

Pour être certain de placer le bassin correctement, le mieux est de prendre une attitude qui garantisse à tout coup ce placement, sans même que l’on s’en rende compte. Bien sûr, établir ce placement en pleine conscience serait la meilleure solution, mais cet apprentissage peut parfois prendre du temps.
Il convient de plier les genoux suffisamment pour pouvoir plaquer l’abdomen sur les cuisses :

Comme le montre le dessin, avoir fléchi les genoux me permet de placer mon bassin correctement, et ce, quelle que soit la raideur des muscles de mes jambes ou de mon dos. Si ces muscles sont très tendus, je fléchirai simplement un peu plus les genoux. La raideur n’est donc pas un obstacle à la prise de cette posture.

Plaquer l’abdomen sur les cuisses constitue le critère qui me permet de savoir que mon bassin est en bonne position. Dans cette posture, mes muscles abdominaux sont donc constamment sollicités pour assurer la flexion de mon buste vers l’avant. C’est cela l’élément-clef.

Je veille aussi à ne pas arrondir le haut de mon dos, à ne pas me voûter : cela viendra avec l’âge bien assez tôt ! Aplatir le haut de mon dos dans la posture me permettra même de lutter contre cette disgrâce.

Bien sûr, si mes jambes se sentent mieux en étant allongées, je ne vais pas les contraindre à demeurer fléchies. Je ne suis pas plus attaché à cette attitude « genoux fléchis » qu’à toute autre. Je pourrai ainsi, au bout de quelques secondes, laisser mes talons glisser sur le sol, et mes jambes s’allonger plus ou moins, si elles en manifestent le besoin. Mes jambes et mon bassin me feront savoir ce qui est bon pour eux, si je les écoute.
Peut-être qu’un jour je parviendrai à allonger complètement les jambes, tout en gardant le ventre plaqué sur mes cuisses. Je pourrai alors poser mon front sur mes genoux et crocheter mes orteils avec pouce et index, comme indiqué dans le Hatha Yoga Pradipika. Mais je ne suis pas attaché à ce résultat apparent qui ne saurait constituer un but pour la pratique.

En pliant les genoux, je renonce par là-même à faire quoi que ce soit de spectaculaire. En renonçant au paraître, à toute gloriole, je me libère de l’orgueil, redoutable poison pour mon esprit. En me détachant mentalement de la forme, je libère ma pensée et permet à mon esprit de se stabiliser, ce qui est bien plus précieux.

Une fois le bassin placé, il est ensuite possible de passer à la mobilisation du périnée.



32. La contraction du périnée

Durant le temps où je suis dans cette posture je garde le périnée contracté fermement (muladhara bandha). Cette mobilisation musculaire ne nous est pas familière, et n’est bien souvent enseignée qu’aux femmes qui viennent d’accoucher.

Mais ici la maîtrise du périnée a une toute autre finalité : elle va permettre à l’énergie vitale (Kundalini), présente à l’état latent en chacun de nous, de s’éveiller. C'est, comme nous l'avons vu, à ce potentiel d'éveil que se réfère le nom même de la posture.

Il est ensuite possible de réguler le souffle.



33. la respiration

Il est possible, dans un premier temps, de respirer tout à fait normalement : inspiration et expiration se succèdent, sans rétention de souffle. Le rythme est alors le suivant : 1-0-1-0.

Puis, quand cela devient possible, l'adepte adopte un rythme respiratoire spécifique : un temps sur l’inspiration, quatre temps de rétention de souffle, les poumons pleins, et enfin deux temps d’expiration.

Ce qui importe c’est de respecter cette proportion exacte. Avec l'entraînement, l’unité de temps pourra devenir plus grande, mais on gardera toujours ce tempo :1-4-2-0.


34. pratique statique ou dynamique

Dans un premier temps, il peut être utile de pratiquer de façon statique : le corps ne bouge pas, on le laisse demeurer immobile. Comme indiqué précédemment, on peut respirer normalement.Il est aussi possible de pratiquer de façon dynamique, c’est-à-dire d’effectuer des mouvements en les coordonnant avec le souffle.

Mais dans les deux cas de figure, on veillera à bien garder l’abdomen plaqué sur les cuisses.

Dans la pratique statique on demeure immobile dans la position déjà examinée :
Dans la pratique dynamique, on distingue trois phases :

1ere phase :

A l’inspiration, on tend vigoureusement les bras au-dessus de la tête. Attention ! C’est la force mise dans les bras qui aide le dos à se redresser. Le travail musculaire est donc intense dans le haut du dos, aidant celui-ci à se structurer, à se muscler.

Si la pratique est molle, si les bras ne sont pas tendus au-dessus de la tête, alors c’est le bas du dos qui fait un effort pour permettre aux bras de se soulever. Dans ce cas, ce qui était censé soulager mon dos, alors l’handicape et je risque de me créer un lumbago.

2eme phase :

Une fois le dos redressé, les bras demeurent tendus au-dessus de ma tête, à la verticale.

3eme phase :

J’incline à nouveau mon tronc vers l’avant, reposant mes mains sur les pieds ou sur le sol.

A chacune de ces phases correspond un temps particulier de la respiration. Souffle et mouvements du corps sont ainsi étroitement coordonnés : j’inspire pendant 1 temps et je me redresse bras tendus ; je retiens le souffle durant 4 temps, le dos vertical, les bras tendus au-dessus de ma tête ; j’expire durant 2 temps, pendant que j’incline le tronc vers l’avant et repose les mains.
Si on pratique de façon immobile, garder la posture durant 5 minutes est excellent.Si on opte pour la pratique dynamique, on pourra effectuer 25 mouvements.

Lorsque je me sens bien à l’intérieur de cette pratique, il m’est alors possible d’installer une visualisation spécifique.



35. Visualisation

A l’inspiration, je vois le souffle qui descend vers le périnée. Lors de la rétention poumons pleins, j’imagine le souffle qui met en mouvement l’énergie au bas de ma colonne vertébrale et la fait tourner. Enfin, à l’expiration je me représente l’énergie qui remonte par le canal central (Sushumna) vers la tête.


36. Le placement des yeux

Les paupières closes, je louche intérieurement, le regard dirigé vers le point situé entre les deux sourcils (bhrumadyadrishti).


37. le positionnement de la langue
La langue est renversée dans le palais, la pointe de la langue dirigée vers la luette (khecharimudra).


Nous voyons donc que la prise de la posture comprend différentes étapes et implique plusieurs mobilisations musculaires (bassin, périnée, yeux , langue) qui ne nous sont pas toutes familières. Il importe donc d’en acquérir progressivement la maîtrise. Par ailleurs, comme vous pouvez le constater, l'adepte dispose d'une grande liberté dans sa pratique et peut choisir telle ou telle variante qui lui convient le mieux. Cette progression tranquille sera le gage de la sécurité.




4. LES BIENFAITS DE LA POSTURE

La posture procure des effets bénéfiques physiques, mentaux et énergétiques.


· La cavité abdominale
La contraction des muscles abdominaux les fortifie et empêche la graisse de se déposer sur le ventre et sur les hanches.
La respiration profonde, conjuguée à la flexion du tronc vers l’avant, provoquent un brassage intense des viscères de l’abdomen. Le foie, l’estomac, la rate, le pancréas, les reins et les intestins sont donc vivifiés et tonifiés. Par ailleurs, la stimulation du pancréas concourt à lutter contre le diabète.
Cette posture, surtout dans sa variante dynamique, est aussi recommandée en cas de paresse intestinale puisqu’elle lutte contre la constipation en stimulant le péristaltisme. « Paschimatanasana […] ranime le feu digestif »(HYP, I, 29), ce qui facilite la bonne assimilation des aliments.
L’étirement du bas du dos, assuré grâce au placement correct du bassin, stimule le système nerveux para-sympathique dans sa partie pelvienne. Ceci régénère les viscères du petit bassin : vessie, rectum, ovaires, utérus (chez la femme), prostate (chez l’homme). Paschimatanasana prévient ainsi les dysménorrhées et préserve le fon fonctionnement de la prostate.

. Système nerveux et états mentaux
L’abdomen se trouvant plaqué sur les cuisses, le contenu de la cavité abdominale se trouve puissamment brassé. Le réseau de nerfs que constitue le plexus solaire (situé entre le sternum et le nombril) se trouve ainsi stimulé. Ce brassage concourt la dissipation de l’anxiété.
Grâce à la respiration profonde, les vertèbres s’écartent légèrement. Les ramifications nerveuses qui se dégagent des trous de conjugaison des vertèbres se trouvent ainsi dégagées.
L’étirement de la colonne vertébrale en flexion avant stimule la chaine de ganglions sympathique qui ce qui contribue à régénérer le système nerveux et à combattre les effets du stress.
De ces multiples effets sur le système nerveux découlent de puissants bienfaits d’ordre psychique : apaisement de l’esprit, plus grand stabilité intérieure, développement de la patience.

· les effets énergétiques
Patschimatanasana permet l'activation des deux premiers grands centre d’énergie : Mulhadhara chakra, qui permet de s’ancrer harmonieusement dans le monde matériel, et Svadishtana chakra, qui permet de prendre plaisir à vivre.
Comme l’exprime le nom de la posture, Paschimatanasana permet à l’énergie éveillée (Kundalini) de remonter par le canal central (Sushumna) situé à l’intérieur de la colonne vertébrale et de se diriger vers la tête.
Les multiples bienfaits de cette posture concourent ainsi à valider l’affirmation du Hatha Yoga Pradipika : « Paschimatanasana […] confère la santé »(I, 29).



5 CONTRE-INDICATIONS

Le nombre de contre-indications à cette posture est très limité. On s'abstiendra ainsi de la prendre en cas de lumbago ou de sciatique. On attendra ainsi que ces problèmes aient été soulagés pour prendre la posture.


CONCLUSION

En procédant de façon sécurisée comme cela vous est ici expliqué, vous pourrez sans difficulté profiter des immenses bienfaits de Paschimatanasana.

Et la Shiva Samhita (93) précise : "Ceux qui pratiquent cet exercice obtiennent tous les pouvoirs, c’est pourquoi le yogi cherche avec ardeur à obtenir le succès dans cette pratique".

BIBLIOGRAPHIE

Alain Daniélou, "Yoga , méthode de réintégration", edition de l'Arche,1983

Hatha Yoga Pradipika, traduction et commentaires par Tara Michael, ed.Fayard, 1974

Shiva Samhita, critical édition and english translation by James Mallinson, Holybooks.com